1-Naissance et enfance:

Abdenbi Aït Menguellet est né au cœur du Djurdjura le 17 janvier 1950 à Ighil Bwammas. Il fut prénommé Lounis par sa grand-mère après qu’il lui soit apparu en rêve. Le prénom officiel de «Abdenbi » (Ce nom lui a été donné par son oncle qui travaillait à Oran. C’est l’un de ses amis proches qui portait ce nom.) était ignoré par tous, même par les membres les plus proches de la famille et ne sera connu qu’à la constitution du dossier scolaire.ait menguellet jeune

Lounis fut élevé au sein d’une famille modeste, et qui, à l’instar de toutes les familles algériennes, avait subi les affres du colonialisme. Les retombées de l’occupation française se sont cruellement faites sentir et ce à différents niveaux et plus particulièrement sur les plans psychologique et matériel.

Au déclenchement de la guerre de libération nationale, Lounis n’avait que 4 ans. Il en aura 12 quand le pays recouvrera sa liberté en 1962. N’ayant pu participer à cette guerre comme ce fut le cas des combattants de la région, Lounis avait vécu cette période en nourrissant mépris et haine vis à vis de l’occupant français alors qu’il n’était que tendresse pour les siens. L’atmosphère chargée de malheur et de tristesse dans laquelle il a vécu a joué un rôle précurseur dans l’éveil du génie poétique dans l’âme encore frêle de cet enfant. À son mûrissement, son génie a donné naissance à de magnifiques et merveilleux poèmes qui se sont illustrés par beaucoup de grâce qui n’avait d’égal que la majesté des événements et la profondeur de leurs blessures.

     2-Études et formation:

   La possibilité et les moyens de recevoir un enseignement n’était pas chose aisée en période de guerre et juste après l’indépendance, surtout dans les lointaines régions montagneuses du pays. Cette situation avait, d’ailleurs, beaucoup influé sur les niveaux intellectuel et culturel de cette génération. En effet, beaucoup d’enfants et de jeunes n’ont jamais accédé aux bancs des écoles, et d’autres n’ont eu ce privilège qu’à un âge avancé. Lounis fut l’un d’entre eux car il n’avait pu entrer à l’école qu’à l’age de Il ans à Alger, après qu’il eut quitté son village en 1962 avec ses frères, pour être admis au cycle primaire. Une fois ce cycle achevé, Lounis s’est dirigé vers le collège technologique de «Champ de Manœuvres» où il a suivi une formation d’ébéniste. Un métier où il excelle, et qui constituera, durant longtemps, un de ses loisirs favoris.ait menguellet atelier

      À la fin de cette période, Lounis arrêtera définitivement les études académiques pour lesquelles il n’avait jamais manifesté de l’enthousiasme car, convaincu qu’il pouvait accéder au savoir, à la science et à la culture à travers les livres. Lounis tient, en effet, une attitude réservée quant aux diplômes considérés par les institutions académiques officielles comme le seul critère de jugement des niveaux intellectuel et culturel des personnes. Il dira a ce propos et non sans ironie: « Je n’ai pas été assez intelligent pour faire de la pêche aux diplômes un métier ».

    3-Terreau culturel:

    En dépit d’un parcours scolaire très court, Lounis a réussi à accéder par la grande porte grâce à ses nombreuses lectures, au monde de la culture et du savoir: une passion qui occupe, d’ailleurs, une grande partie de son temps. Par ailleurs, Lounis ne pouvait, comme il l’a souligné, passer une seule nuit sans achever la lecture d’un livre ou d’en entamer un autre.

Parlant de sa manière de lire, Lounis dira: « Quand je découvre la valeur artistique d’un écrivain ou d’un auteur, j’essaye de me procurer l’ensemble de son œuvre afin de pouvoir définir, à .la fin de ma lecture, son orientation intellectuelle et idéologique qui le distingue des autres auteurs … , je lis ces derniers temps, à titre d’exemple, les écrits de Amin Maâlouf et j’en déduis que c’est un écrivain qui mérite beaucoup de respect et d’attention ».

   À côté de ses lectures, Lounis s’abreuve à d’autres sources de culture qui ont plus ou moins marqué sa vision des choses, son comportement et son jugement. Ce poète porte en lui une double identité ; l’une traditionnelle imprégnée par les valeurs ancestrales qui se résument dans «Taqbaylit », l’autre, actuelle nourrie par la société moderne.. Il est également témoin de deux générations bien distinctes: l’une ancienne, celle des pères, gardiens du temple sacré des valeurs héritées porteuses de l’authenticité des aïeux, l’autre génération est celle des jeunes de l’indépendance, rêveuse de ait menguellet lislendemains meilleurs et d’un futur prometteur.

 Lounis nous apprendra, d’autre part que l’environnement de son enfance a joué un rôle aussi important que particulier dans sa composante culturelle. II a reçu dans son village d’Ighil Bwammas, une éducation rustique basée sur des traditions ancestrales, le respect mutuel, les valeurs de la noblesse, du courage, de l’entraide et d’autres principes organisationnels qui gèrent cette société traditionnelle. L’environnement social du poète possède également plusieurs modes d’expression culturelle tels que les proverbes, les dictons, les légendes, les mythes, les contes et les fables. Ce foisonnant terroir culturel reste une source intarissable pour le génie imaginatif et figuratif de Lounis et constitue la toile de fond poétique de ses poèmes. On retrouve cet environnement traditionnel à travers le mode de vie actuel de ce poète-chanteur.

4-Domaines de travail et fonctions:

    Lounis n’a  jamais occupé un poste d’emploi stable ou une fonction permanente. A l’indépendance, il a travaillé à quelques postes da ns le secteur public, notamm ent lorsqu’il résidait avec sa famille à Alger. Il a travaillé au ministère des travaux publics, puis dans une entreprise financière française (C.F.D.B); la der nière des banques françaises en Algérie, nous indique Lounis.

   De retour à son village natal, Lounis a travaillé dans les services de la commune, pas pour longtemps, car il fut appelé sous les  drapeaux pour accomplir son service militaire durant lequel il passera 6 mois à l’école militaire de Blida et  18 autres dans la ville de Constantine. Une fois son service militaire achevé, Lounis est retourné à Ighil Bwammas pour qu’une nouvelle étape, décisive, se définisse dans sa vie.

     Il dira à ce propos: «Après mon retour du service militaire, je me suis retrouvé confronté à deux alternatives qui définiraient ma vie et mon mode de vie futurs. Il fallait faire un choix entre un poste de travail permanent, pour lequel je serai entièrement dévoué ou continuer mon parcours artistique, déjà entamé, et lui consacrer tout mon temps pour le perfectionner. Après mûre réflexion, j’ai choisi de me consacrer à mon art (poésie, musique et chant) ; depuis et jusqu’à ce jour, je n’ai occupé aucun poste d’emploi, consacrant ainsi, tout mon temps et mon énergie à ma vie artistique ».

    5-Le mariage:

    Nous avons voulu entamer ce sujet en raison de tout ce qu’il a suscité comme questions et interrogations, et qui a été à la source de plusieurs rumeurs qui trouvent leur origine dans la mauvaise interprétation des poèmes de Lounis d’une part, et à la recherche à travers l’artiste d’un mariage idéal d’une autre part. Questionné à ce sujet, Lounis dira en toute simplicité: «Ce ne sont là que des rumeurs découlant de l’imaginaire de mes auditeurs et d’une interprétation fausse de mes diverses créations. Car bien souvent, on projette le contenu de ma poésie sur ma vie réelle et personnelle. La vérité est que tout ce que j’aborde dans ma poésie ne découle pas forcément de ma propre expérience. Si tel était le cas, je serais une personne extraordinaire, dont l’existence s’étendrait sur plusieurs siècles et générations, j’aurai ainsi vécu près de mille ans de joies et de peines. Ceci est plus que je ne pourrais supporter. Je vous répondrai en toute simplicité que je ne suis qu’un poète qui rapporte la souffrance des autres, je lève le voile sur leurs soucis et leurs préoccupations. Je fais ressortir à travers mes écritures les défauts des gens usant de la critique et de l’analyse. cependant, je ne nierai pas qu’il existe une part de ma propre souffrance dans mes écrits … concernant mon mariage, je dirais que je vis une vie normale et heureuse. J’ai épousé une jeune fille que j’ai moi-même choisie. Et j’ai été bien chanceux car notre vie conjugale est une réussite : nous abordons la vie à deux dans l’harmonie la plus totale et ce dès le début de notre mariage ».

    6-Parcours poético-artistique:

    C’est vers la fin de l’année 1966 et le début de 1967 que le parcours artistique de Lounis a commencé, dans l’émission «les chanteurs de demain, iɣennayen uzekka » animée par Cherif Kheddam où il avait participé avec sa première chanson intitulée « Si tu pleures – Ma truḍ », ce titre avait eu beaucoup de succès. Intrigué par la question de l’animateur de l’émission qui se demandait qui était l’auteur du poème de la chanson, Lounis répondra qu’il en était l’auteur. Cherif Kheddam parut très admiratif devant autant de talent, et prédit au jeune artiste un avenir plein de promesses dans la création poétique.

Au début de sa carrière artistique, Lounis avait créé en compagnie d’autres jeunes, produits par l’émission « Chanteurs de demain », un groupe qui portait le nom d’ <<lmaziɣen ». Le but du groupe était à la fois artistique, politique et idéologique. Mais cette formation n’avait pas duré longtemps et ses membres se sont séparés. Suite à cela, Lounis a quitté Alger et, est reparti à son village où il fut appelé pour une durée de deux ans pour le service militaire. A la fin de son service, la poésie et le chant de Lounis prirent le chemin de la maturité et de la perfection après qu’il eut consacré tout son temps à la création poético-artistique.

Comme ce fut le cas d’autres artistes, le parcours de Lounis est d’abord parti sur un élan de romantisme avec une création foisonnante de poèmes d’amour et de passion avec tout leurs lots de souffrances provoquées par l’abandon et la séparation.

 L’expérience poétique de Lounis s’enrichit au fil du temps et des années, pour atteindre son apogée au terme de la première étape romantique de son parcours. Le poète est entré, par la suite, de plain pied dans la seconde phase, au cours de laquelle il a su déceler, avec perspicacité, les changements introduits par la modernité dans son environnement traditionnel, dans toutes ses dimensions des plus pathétiques à celles plus profondes: politiques et sociales, s’entend. Lounis s’étalera sur les souffrances de l’identité kabyle et de manière très globale celles de l’identité amazighe délestée de ses droits et soumise à un monde civilisationnel loin d’être le sien.

 Lorsqu’on demande à Lounis son avis, quant à ce découpage, il nous répondra par l’affirmatif: «Ceci est probablement vrai, quand je revois mon parcours poétique, j’y distingue les mêmes phases. Mais je voudrai ajouter que ceci s’est fait de manière involontaire: c’est le fruit du hasard et de l’évolution naturelle de mon expérience dans le monde de la poésie ». En tous cas, ce poète-chanteur a réussi à produire, tout au long d’un parcours de plus de 30 années, une œuvre très féconde. Depuis le départ, l’ensemble de sa création, est empreint d’une beauté particulière qui n’a pas fini de se développer jusqu’à atteindre l’excellence dans certains poèmes uniques, dans leur genre, et qui sont les témoins de l’authenticité du don poétique de Lounis, et de la véracité de son expérience.

M’hammed Djellaoui.

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