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Mar 23, 2016 | Personnalités | 0 commentaires

Arezki u Lbachir – Un bandit d’honneur

par | Personnalités

Bandit d’honneur, il a défrayé la chronique à la fin du XIXe siècle, dans la région de Yakouren, du Tamgout et de l’Akfadou.

Les registres d’état-civil indiquent qu’Arezki Lbachir (1) est né « vers 1859 » à Bou-Hini. Lors de son arrestation à la fin de l’année 1893, il avait «peut-être quarante ans » (Violard, p. 146). Il est le fils de El Bachir ou Ali Naït Ali et de Tassadit Tadjibat ; il appartient à la tribu des Aït-Ghobri.En dehors des documents d’état-civil (2), les informations écrites les plus précises à son sujet sont rapportées par Emile Violard dans ses deux ouvrages (3) (1895 et 1895/1998) qu’il a sans doute écrits entre la fin 1893 et 1894, au moment du démantèlement du groupe d’Arezki Lbachir et de celui de Abdoun*. L’auteur, qui a enquêté sur le terrain et a rencontré Arezki dans sa prison de Tizi-Ouzou, a une position très critique vis-à-vis de l’administration coloniale. Son ouvrage Le banditisme en Kabylie (1895) est la source principale (4) de la présente notice.Arezki Lbachir a dû, de son vivant déjà, entrer dans la légende puisque Violard éprouve le besoin de préciser : « Je ne rapporterai, ici, que les anecdotes dont j’ai, sur les lieux mêmes, vérifié l’authenticité » (p. 123). Les longues pages que lui consacre Violard révèlent un personnage aux multiples facettes.

Une jeunesse difficile

La Kabylie fut conquise en 1857, mais l’autorité française y fut encore sérieusement ébranlée lors de l’insurrection de 1871. Cette période correspond à l’enfance et à l’adolescence d’Arezki Lbachir. La répression de l’insurrection de 1871 fut d’une extrême sévérité et ses conséquences n’épargnèrent aucune région de la Kabylie. La vie d’Arezki fut donc, à l’image de celle de l’écrasante majorité de ses compatriotes : « D’abord berger, puis cireur de bottes à Alger, garçon de bain maure, manœuvre, bûcheron, petit khamès à Azazga » (Violard, p. 117).

L’entrée au maquis

C’est à la suite de démêlés avec la police et la justice française qu’Arezki prit le maquis. Son cas était loin d’être isolé : la Kabylie a connu, à la fin du XIXe siècle, une vague de banditisme qui inquiéta sérieusement les autorités françaises, en particulier le gouverneur Jules Cambon. Sur la nature du délit qui incita Arezki à prendre le maquis, les sources divergent ; Jean Brune, qui ne cite pas ses sources, affirme qu’il s’agit d’un meurtre : « Arezki alla s’engager comme manœuvre chez un entrepreneur de Fort-National. C’était un bon ouvrier. Un jour, il se prit de querelle avec un employé de l’entreprise et le tua. Pour échapper aux gendarmes, il prit le maquis » (Brune, 1948).

Pour Violard, il s’agit d’un vol, commis en 1887, dans : « la villa Régina, occupée par un médecin, le Docteur Geutner, à Mustapha Supérieur. Surpris par les agents de police, il réussit néanmoins à s’échapper ; mais dénoncé par ses complices […] Areski crut opportun de gagner la forêt. La Cour d’assises d’Alger le condamna, de ce chef, à vingt ans de travaux forcés par contumace » (p. 118).
Pourtant, lors de son procès, alors qu’il se savait condamné à mort, Arezki revendique tous les meurtres qu’il a commis et en explique les raisons, mais il rejette catégoriquement les accusations de vol (Cf Annexe).

Un brigand chevaleresque et facétieux maniant la parole et les armes

Aussi bien la presse de l’époque (La Dépêche algérienne du 3 février 1895) que Violard décrivent Arezki Lbachir comme un homme au physique ingrat: « Areski a bien le type bestial que les journaux illustrés ont reproduit : tête ronde, pommettes saillantes, lèvres épaisses, nez camard, barbe rude et grisonnante, regard faux et cruel, teint bistré. Il est vêtu d’une veste et d’un large pantalon bleu comme en portent les Turcos, une haute chéchia rouge est enfoncée sur la nuque. Il a peut-être quarante ans » (Violard, p. 146).D’origine très modeste — Jean Brune affirme même que ses origines sont « obscures » —, son premier atout fut la parole :
« Il n’acquit une certaine prépondérance sur ses coreligionnaires, dit Violard, que par son bagout extraordinaire, sa loquacité merveilleuse et ses réparties cocasses » (p. 117).
A la parole, s’ajoutèrent, après l’entrée au maquis, les armes. Il y a peut-être une certaine exagération dans la description, mais Violard affirme que :

« il était possesseur d’un fusil donné par l’ancien gouverneur Tirman à Saïd-ou-Ali, le fameux tueur de panthères […] et il vantait à tout propos la précision de cette arme à laquelle il tenait plus qu’à sa femme, disait-il cyniquement […] Indépendamment de son fusil, Areski était armé de deux révolvers, d’un poignard et d’un couteau empoisonné. Il portait une ceinture pouvant contenir cinquante cartouches qu’il faisait toujours lui-même car il n’accordait qu’une confiance relative à ses meilleurs compagnons. On affirme que certains habitants de la région lui fournissaient des quantités prodigieuses de munitions » (p. 119-120).

La parole et les armes, awal d wuzzal disait la tradition kabyle pour qualifier tout homme d’honneur. Car « le brigand n’est pas vulgaire », dit Violard (p. 125), « malgré ses nombreuses « fredaines », il eut néanmoins de fort beaux gestes et de grands mouvements de générosité » (p. 123).

Violard dresse un portrait assez précis du personnage ; plusieurs traits y sont soulignés, souvent avec humour. Il y a d’abord le rapport d’Arezki à la violence, son « maniement » de la violence, pourrait-on dire. Il faut préciser que cette violence était ciblée : elle ne touchait pas les Français mais l’administration coloniale à travers ses relais autochtones (présidents de douar, amins nommés par l’administration, caïds…).

« Areski n’allait jamais seul, il divisait sa bande en deux, la première moitié marchait à 300 mètres en avant de la seconde, le capitaine se tenait au centre avec ses lieutenants. Lorsqu’il y avait une vengeance à exercer, un président de douar ou un mouchard à envoyer au paradis de Mahomet, c’était toujours lui qui se chargeait de la besogne. Il opérait d’ailleurs en artiste, tuant loyalement, par devant, après avoir averti son monde, […] souvent, il assista à l’enterrement de ses victimes » (Violard, p. 126).
La parole et les armes, certes, mais à condition de savoir s’en servir, disait le code de l’honneur. La loyauté était la condition première que posait ce code dans l’exercice de la violence : ne jamais abuser de la victoire que l’on pouvait avoir sur son adversaire (car il était supposé être un pair; dans le cas contraire, le cycle de violence, qu’elle soit physique ou symbolique, ne pouvait être engagé sous peine de déshonneur). Il était aussi impératif d’agir dans le face à face; tuer son adversaire par derrière était une infamie. Cette loyauté ne se cantonnait pas, pour Arezki, dans l’exercice de la violence. Violard rapporte plusieurs anecdotes (gestes de générosité, restitution par Arezki d’objets volés à leurs propriétaires, etc.).

Enfin, chez Arezki, loyauté allait souvent de pair avec courage :

« Un président de douar avait été tué ; sur dénonciation d’un cousin de la victime, l’autorité s’était emparée d’un Kabyle du douar et l’avait emprisonné. Areski, informé de l’arrestation, se rendit en plein marché de Tizi- Wuzu, chercha et rejoignit le dénonciateur; puis, devant plus d’un millier d’indigènes, il le traita de lâche, de vendu, de fils de chienne, et il ajouta : — Tu vas, dès aujourd’hui, te rendre chez l’Administrateur, tu lui diras que tu as menti, que je suis le seul auteur de ce meurtre que, si dans quarante-huit heures, l’innocent n’est pas relaxé, je tuerai l’Administrateur et le dénonciateur. Vingt-quatre heures après, le Kabyle était en liberté » (Violard, p. 125).

Arezki Lbachir ne cultivait pas seulement les qualités d’homme d’honneur : il était aussi facétieux. Violard évoque « ses réparties cocasses » et rapporte plusieurs anecdotes dont il affirme avoir vérifié la véracité. Les journalistes l’avaient taquiné, y compris durant son procès (La Dépêche algérienne du 03/02/1895) ; mais lui aussi savait taquiner l’administration coloniale avec une élégance remarquable :

« M. Robe, bâtonnier de l’Ordre des avocats, a conté, en pleine séance du Conseil général, qu’un juge de Tizi-Ouzou (5) reçut un matin, la visite d’un Kabyle propre, s’exprimant en termes corrects. L’indigène venait lui donner des renseignements sur la bande d’Arezki. Le magistrat prit des notes et remercia chaleureusement son visiteur.

Le soir-même, le chaouch du tribunal lui apportait une carte ainsi libellée :

Areski El Bachir — remercie Mr le Juge X … de lui avoir accordé audience et le prie de croire qu’il se souviendra, à l’occasion, de la courtoisie avec laquelle il a été reçu par lui » (Violard, p. 134).

Il faut préciser que ces échanges d’amabilités entre Arezki Lbachir et l’administration française n’avaient pas lieu seulement dans les bureaux de Tizi-Ouzou ou d’Alger mais aussi au maquis ; car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Arezki entretenait d’excellentes relations avec les agents locaux de cette administration.

Un bandit garant de la sécurité

La position de l’administration vis-à-vis d’Arezki Lbachir n’était pas homogène : au niveau central, il était l’ennemi à abattre : ce fut le Conseil général d’Alger qui vota, lors de sa session d’octobre 1892, la mise à prix de la tête d’Arezki (125 000 francs ; Violard, p. 130) ; ce fut aussi Cambon qui prit la décision d’organiser — nous y reviendrons — l’expédition au cours de laquelle Arezki fut arrêté (Violard, p. 159) ; mais l’administration locale, nécessité oblige, lui était beaucoup moins hostile. Il comptera même, en son sein, de solides alliés.

Plusieurs faits rapportés par Violard rendent compte de la nature de ces relations. Il faut d’abord souligner que la clandestinité d’Arezki était toute relative car il lui arrivait de descendre à Tizi-Ouzou en plein marché, au vu et au su de tous, y compris des gendarmes qui avaient son signalement (Violard, p. 106). Par ailleurs, bien qu’ayant pris le maquis, il entretenait des relations, en bonne et due forme, avec les colons:

« Un colon avait loué sa concession à Areski, quand l’administrateur lui reprocha cet acte, le Monsieur répondit :

— Si je louais aux autres Kabyles, je serais mal payé, les colons ne me paieraient pas du tout, Areski, au contraire paie très largement et entretient admirablement mes terres » (Violard, p. 144-145). Il lui arriva aussi — les circonstances étaient sans doute exceptionnelles — de rencontrer l’administrateur en plein maquis. Ce fut lorsque sa tête fut mise à prix.« Il attendit Mr. Michaud, administrateur d’Azazga, qui revenait un matin de la chasse, et l’aborda sans autre préambule :

— Dépose ton fusil sous cet arbre, j’ai à te causer longuement, je suis Areski. Mr. Michaud, tout d’abord estomaqué, se remit bien vite et fit jouer les batteries de son arme.

— Ne t’amuse pas à cela, tu es père de famille et je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. En même temps, il lui montra un gros buisson, distant d’une trentaine de mètres, d’où sortaient une demi-douzaine de canons de fusil. Il avait plu la nuit, la terre était mouillée ; le prévenant Areski se dévêtit de son burnous, l’étendit sur le gazon et, après avoir prié l’administrateur de s’asseoir, il prit place à son côté ; puis, longuement, il lui causa, lui donnant des détails sur sa vie, sur sa bande, s’engageant à laisser là son métier de brigand si le gouverneur voulait lui accorder l’aman.

— En somme, qu’avez-vous à me reprocher vous autres, Français? demanda-t-il? Ne suis- je pas au mieux avec les colons et ai-je jamais porté aucun tort ? Au contraire, je débarrasse le pays d’un tas de fripouilles indigènes, ce que vos gendarmes n’ont jamais pu faire. Pourquoi me traquer ainsi et mettre ma tête à prix? Je fais la police dans les douars, j’assure la sécurité dans la forêt et je protège les agents de l’administration qui ne me sont pas ouvertement hostiles » (Violard, p. 130). Ce fut sans doute ce rôle de police parallèle joué par Arezki qui faisait de lui un interlocuteur incontournable.

« Des détrousseurs kabyles arrêtaient fréquemment la voiture d’Azeffoun à Azazga et détroussaient les voyageurs. Comme personne ne se hasardait plus à tenter le voyage, l’entrepreneur du routage demanda une entrevue à Areski et, celui-ci moyennant une subvention mensuelle de 100 francs, promit d’assurer la sécurité de la voiture. En effet, depuis cette époque, les voyageurs n’ont jamais été inquiétés et le service postal s’est fait très régulièrement » (Violard, p. 131 à 132).

En dehors de ces liens rendus nécessaires puisque Arezki jouait ce rôle de police parallèle, on soulignera qu’il entretenait aussi de bonnes relations avec l’administration des forêts car, nous dit Violard :« Avant de devenir le brigand que nous connaissons, Areski avait été employé en qualité de chef de chantier par l’administration forestière d’Azazga. Depuis lors, cette administration entretient avec lui d’étroites relations » (p. 138).

Enfin, Arezki avait d’excellents rapports avec M. Faure, instituteur à Yakouren, qui avait comme élève le fils d’Arezki ; on peut même parler d’une solide amitié :

« Madame Faure [institutrice elle aussi] blanchissait le linge du Capitaine et de ses lieutenants; et, lorsque l’administration eut mis à prix la tête d’Arezki, elle remit des armes à Mr. Faure dans le but de l’arrêter. Mr. Faure s’empressa de les distribuer, avec les munitions aux amis d’Areski. Faure fut envoyé en disgrâce dans la région de Constantine. Plus tard, on l’arrêta […] Il comparaîtra prochainement devant les assises d’Alger (6) ) » (Violard, p. 139-140).

Il s’agit là d’un cas de complicité avérée que l’administration pensait sans doute pouvoir utiliser pour arrêter Arezki. D’autres exemples le prouvent.

Un contre-pouvoir potentiel

Tous ces détails mettent en relief deux faits :

– Les rapports entre l’administration française et la Kabylie n’obéissaient pas à une division manichéenne; cette administration était traversée par des lignes de clivage.

– A la différence de la famille Abdoun*, dont l’opposition revêtait un caractère nettement plus radical, Arezki Lbachir a sans cesse défié l’autorité coloniale sans pour autant la remettre en cause. Partant de ce dernier constat, la sévérité avec laquelle l’administration poursuivit Arezki peut paraître disproportionnée; en effet pourquoi traquer de manière aussi implacable un bandit qui n’avait jamais inquiété l’administration française et qui dirigeait sa violence contre les siens ? Arezki s’était d’ailleurs lui-même posé cette question. En fait, cette sévérité n’était en rien disproportionnée : la vague de banditisme qui avait secoué la Kabylie en cette fin de siècle inquiétait les autorités coloniales en haut lieu (notamment les gouverneurs généraux Tirman, puis surtout Cambon) et, au niveau central, les ministres de la Justice et de l’Intérieur (7) ; elle les inquiétait en raison de sa dimension sociale et de ses implications politiques potentielles.

Ce qui inquiétait dans le personnage d’Arezki, ce n’étaient pas « ses fredaines » mais le soutien indéfectible que lui apportait la population :

« Les indigènes d’ailleurs l’encourageaient, lui créaient des alibis parce qu’il avait pris la douce habitude d’escoffier proprement amins, notables et complices de cette autorité qui les tyrannisait et les ruinait » (Violard, p. 121).

Maurice Colin confirme les mêmes faits :

« … Après cela, il ne faut pas s’étonner que pendant plus de trois ans, son autorité [i.e. celle d’Arezki] ait, dans presque tout le territoire des trois communes mixtes d’Azeffoun, du Haut Sebaou et de la Soummam, supplanté l’autorité de l’administration française. Il s’y était taillé un véritable royaume dans lequel plus de 160 000 Kabyles ne songeaient plus à discuter ses ordres ou ses caprices » (Colin, 1899 : 22).

Il s’agissait donc nettement d’un contrepouvoir, potentiel, car Arezki n’en mesurait pas ou n’en appréhendait pas la dimension politique. Enfin, un dernier fait inquiétait par-dessus tout l’autorité coloniale : il s’agissait de la très forte capacité de mobilisation attribuée à Arezki Lbachir :

« Si ce dernier avait été marabout, et si, à l’époque de la fusion les Abdoun l’avaient voulu, le Kébir du Sébaou [i.e. Arezki] eût pu grouper plus de 20 000 hommes prêts à combattre. Mais on disait à Areski — et les Abdoun affirmèrent sur le Coran — que le drapeau de la révolte ne pouvait être confié qu’à un marabout. Sans cet esprit de jalousie, l’insurrection éclatait, formidable, surprenant l’administration, qui n’était pas sur ses gardes » (Violard, p. 122-123).

Violard prend soin de préciser en note infrapaginale (p. 122, note 1) que :

« ce chiffre [de 20 000 hommes] a été constaté dans les rapports du sous-préfet de Tizi- Wuzu ».

Ces bandits d’honneur, par delà leur parcours individuel, jouaient en réalité un rôle de catalyseur. La mémoire collective les hisse d’ailleurs au rang de héros (8).

Les autorités françaises avaient donc parfaitement compris que la région, bien que brisée et broyée par l’insurrection de 1871, n’était pas « pacifiée » : l’implacable répression consécutive à 1871 n’avait pas réussi à la soumettre.

C’est la lecture politique qui a été faite de ce banditisme qui explique l’importance de l’expédition menée en Kabylie la fin de l’année 1893 ; cette expédition était destinée principalement à arrêter Arezki Lbachir et les Abdoun. « Prenez ces bandits vivants autant que possible, dit Cambon » (Violard, p. 159).

Une fin tragique

L’expédition de novembre 1893 qui permit l’arrestation d’Arezki Lbachir (et d’Ahmed ou Essaïd ou Abdoun) n’était pas la première. En 1891, une première tentative pour arrêter Arezki Lbachir avait échoué :« la plupart des agents kabyles [mobilisés pour la circonstance] prêtèrent leur concours aux malfaiteurs » dit Violard (p. 106).

En 1892, pendant sa session d’octobre, le Conseil général vota la mise à prix (125 000 francs) de la tête d’Arezki. Enfin, entre octobre 1892 et novembre 1893 (à une date que Violard ne précise pas), l’administrateur d’Azazga, Michaud, tenta de l’empoisonner par l’intermédiaire du colon Reiber ; celui-ci ayant refusé de coopérer, l’administrateur fit appel à Tassadit, l’épouse d’Arezki (internée à Alger mais libérée pour la circonstance) ; l’opération échoua (p. 155-156).Une autre tentative dans laquelle devait être impliqué M. Crouzet, agent de la sûreté à Alger, fut également déjouée par Arezki (p. 157).

En 1893, la bande d’Arezki prenait des proportions inquiétantes, elle « grossissait chaque jour. Le Capitaine refusait du monde. Il fallait maintenant, pour être admis, se faire présenter par deux bandits bien en cours et payer 150 francs » (Violard, p. 147).La répression devait sans doute se préparer mais elle fut précipitée par une expédition punitive que mena la bande d’Arezki (avec d’autres bandes) contre le village de Tabarouzt, situé dans la commune mixte d’Azeffoun. Trois habitants de ce village auraient fourni des renseignements sur la bande d’Arezki et c’est dans ce village qu’eut lieu l’accrochage qui coûta la vie au fils de Abdoun. Le village fut alors attaqué de nuit en novembre 1893 et incendié.

« Cet acte de brigandage exaspéra au plus haut point la population kabyle qui descendit en masse de la montagne pour réclamer la punition des coupables. Le sous-préfet de Tizi-Wuzu se rendit aussitôt à Alger, exposa la situation grave au gouverneur et obtint d’organiser sous son entière responsabilité une nouvelle campagne » (Violard, p. 159).

Cette exaction fut une erreur fatale à Arezki et aux Abdoun, car elle leur aliéna le soutien de la population; celle-ci les a, en quelque sorte, livrés à l’administration. La décision de leur arrestation fut prise au plus haut niveau : ce fut le gouverneur Cambon qui donna à M. Lefébure, sous-préfet de Tizi-Wuzu, l’autorisation d’organiser l’expédition, car ce fut une véritable expédition :

« On mit sous ses ordres [de M. Lefébure] les administrateurs d’Azeffoun, du Haut Sebaou, Michelet et de la Soummam, leurs adjoints, les cavaliers et les goumiers des communes mixtes, les brigades de gendarmerie de la région, deux compagnies de zouaves et un demi-peloton de Spahis. De plus, on arma de fusils « Le Faucheux » des Kabyles chez lesquels Areski avait « travaillé » soit en volant, soit en assassinant soit en violant. Les marabouts ayant prétendu qu’Areski ne pouvait être tué avec du plomb, l’administration fit fabriquer des balles d’argent qu’elle remit aux tireurs les plus renommés, à ceux qui avaient à leur actif quelques cadavres de lions ou de panthères. Et ce fut en plein hiver, le 25 novembre 1893, par un froid rigoureux, au milieu des tourbillons de neige que l’on commença les opérations » (Violard, p. 161).

Les bandes, isolées des villages qui leur étaient solidaires, furent alors traquées. A la différence des Abdoun qui optèrent pour une résistance unifiée, Arezki proposa la dislocation des groupes ; cette erreur tactique lui fut fatale : il dut se rendre.

« Le Roi des forêts, dit Violard, qui tant de fois avait fait preuve de courage se rendit lâchement au Caïd Belkacem du village de Seddouk, près d’Akbou. Belkacem qui était l’ami d’Areski, hésitait à l’arrêter. Mais le bandit le pria avec tant d’insistance qu’à la fin, le Caïd s’exécuta. Belkacem, pour ce haut fait d’armes, a été promu officier de la légion d’honneur, il a reçu, en outre, une prime de 20 000 francs » (Violard, p. 164).

Le procès d’Arezki Lbachir eut lieu à la Cour d’assises d’Alger les 1er, 2 et 3 février 1895, l’accusé fut défendu par maître Langlois. Il fut condamné à mort par la Cour d’assises d’Alger le 4 février 1895 et exécuté avec cinq autres le 14 mai suivant (9).L’arrestation et la condamnation d’Arezki Lbachir et d’Ahmed ou Essaïd ou Abdoun ne mirent pas fin au banditisme en Kabylie puisque Violard précise dans la conclusion de son ouvrage (donc très probablement fin 1894) :

« En ce moment, sur les lieux mêmes où les Areski et les Abdoun ont travaillé, les bandes se réorganisent; les brigands, tout d’abord surpris par la furia apportée dans la répression, reprennent assurance et recrutent les conscrits. Le sous-préfet de Tizi-Ouzou, encouragé par un premier succès, réclame, ces jours derniers, une nouvelle expédition (10) » (p. 169). Cette forme de banditisme n’est pas née au XIXe siècle, elle est ancienne et constitutive de l’ensemble des sociétés méditerranéennes; pratiqué dans ce contexte nouveau créé au XIXe siècle par la domination française, ce banditisme a été, en Kabylie, l’ultime parade, le dernier baroud d’honneur livré par une société qui avait, momentanément, épuisé toutes ses cartouches.

D. ABROUS, in DBK in Hommes et Femmes de Kabylie

Note :

1. Son vrai nom devait sûrement être Arezqi-u-Lbacir; il a été dénommé « Areski Ben El Bachir » par Colin (1899, p. 21), Déjeux (1978, p. 45) et dans les documents des Archives nationales de Paris oh tout un dossier lui est consacré (BB18-1913.3001A92, Areski Ben El Bachir »).

2. Lenquête de terrain a été menée par Mohamed Mezari, étudiant de magister à l’Institut de langue et culture amazigh de l’Université de Bgayet.

3. Les ouvrages de Violard sont bien documentés car toutes les données qu’il livre, en particulier pour l’aspect judiciaire, sont confirmées par les dossiers des Archives nationales de Paris (voir dossiers BB18- 1913.3001.A92 et BB1968-920.A94 « Répression du brigandage en Kabylie »).

4. Les renvois de la présente notice référent donc, sauf indication contraire, à ce livre.

5. A propos de cette visite de courtoisie, Violard (1988: 28, note n° 1) rectifie : « Dans Le banditisme en Kabylie, je disais qu’Areski s’était présenté à un juge d’instruction de Tizi-Ouzou. C’était une erreur. Areski fut reçu par le Procureur général d’Alger, le mémorable Flandin, ami de Reinach. »

6. La comparution de ces complices européens est confirmée par les documents des Archives nationales de Paris, voir série BB18-1913.3001.A92, lettre n° 826 du 1EL avril 1895 adressée par le procureur général au ministre de la Justice : « Seize individus, dont plusieurs Européens, accusés de complicité pour recel ont été acquittés.

7. Voir l’importante correspondance échangée entre le procureur général d’Alger et les ministres de la Justice et de l’Intérieur à propos de « Areski Ben El Bachir et de sa bande qui désolaient la Kabylie », notamment les lettres : n° 3397 du 17 octobre 1892, n° 1971 du 4 novembre 1892, n° 728 du 6 juin 1894, n° 3001-A92 du 26 juin 1894, n° 826 du 1°’ avril 1895, n° 2266 du 14 août 1895.

8. Aujourd’hui, deux associations perpétuent le nom de Arezki ou Lbachir, l’une dans son village natal, Aït Bouhini, l’autre à Azazga, ville dans laquelle il a été exécuté. Cette dernière propose d’ailleurs que la place où fut guillotiné Arezki avec cinq de ses compagnons porte le nom de Arezki ou Lbachir.

9. Sur ce procès, voir Archives nationales de Paris, Dossier BB18 1968 – 920A94, lettre n° 826 du avril 1895 et lettre n° 2266 du 14 août 1895, adressées par le procureur général au ministre de la Justice; voir aussi Violard 1895/1998. Les actes de décès d’Arezki et de ses compagnons sont enregistrés à la mairie d’Azazga.

10. Ces faits sont confirmés par la lettre n° 2266 du 14 août 1895 (Archives nationales de Paris) : le procureur général informe le ministre de la Justice d’une nouvelle expédition destinée à « arrêter les derniers partisans des bandes de malfaiteurs qui opéraient sous la direction du nommé Areski Ben El Bachir, condamné à mort par la Cour d’Assises d’Alger le 4 février 1895 et exécuté avec cinq autres le 14 mai suivant ». Cette expédition, organisée le 27 juillet 1895 à Azazga, ne parvint pas à arrêter Mohamed ou El Hadj ou Abdoun.

Bibliographie :

– AGERON (Charles-Robert) : 1968 – Les Algériens musulmans et la France, t. I., PUF, Paris.« (Chapitre : La crise algérienne et la sécurité », p. 552 à 564).

– BRUNE (Jean) : 1948 – « Maquis Kabyle : Arezki El Bachir, le Fra-diavolo kabyle », Le Journal d’Alger, (quotidien) du 13 novembre.

– CAMBON (Jules) : 1918 – Le gouvernement général de l’Algérie, (1891-1897), Paris, Librairie Champ ion/Alger, Librairie Jourdan.

– COLIN (Maurice) : 1899 – Questions algériennes, Paris, Éditions Larose (Chapitre : « Banditisme et sécurité en Kabylie », p. 21 à 27).

– De/EUX (Jean) : 1978- « Un bandit d’honneur dans l’Aurès de 1917 à 1921 : Messaoud Ben Zelmat », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 26, p. 35 à 54.

– La Dépêche algérienne (quotidien) du 3 février 1895.

– DESMONTÈS (Victor) : 1923 – L’Algérie économique, t. II : « Les populations algériennes », Alger, Imprimerie algérienne.

– HUGOLIN : [1896]- Le banditisme en Algérie. Les causes de l’insécurité, moyens pratiques pour la faire disparaître, ce que l’on n’a pas encore dit, conseils aux colons. Mostaganem, Impr. E. Balland, 191 p.

– EACOSTE – DUJARDIN (Camille) : 1995 – « Du banditisme comme faire-valoir de la virilité socialisée en Kabyle ». Actes du Colloque de Bastia : « Banditisme et violence sociale dans les sociétés méditerranéennes » (Bastia, 27 au 29 mai 1993), Revue d’études corses, 21= année, n° 40-41, p. 59-75. — ROBIN (Colonel) : L’insurrection de la Grande Kabylie, Paris, Éditions Henri-Charles Lavanzelle, s.d. (en particulier le chapitre XIII).

– VIOLARD (Emile) : 1895 – Le banditisme en Kabylie, Paris, Éditions Albert-Savine.

– VIOLARD (Emile) : 1895/1998 – Areski, Abdoun Co;Beni-Flick, Beni-Haçaïn et colons, Imprimerie Baldachino/ Laronde-Viguier, Alger, 1895. Réédité en 1998 sous le titre : Areski, Abdoun er Cie, Hors-la-loi et bandits d’honneur en Kabylie à la fin du rwo siècle, par les Éditions Echo-Plus, Alger, 80 p.- TAGMOUNT (Azedine) : Arezki Oulbachir ou l’itinéraire d’un juste, Alger, ENAL, 1984, 182 p.

Archives :

Archives nationales de Paris :- Dossier BB18.1913 – 3001 – A92, « Areski Ben El Bachir »

– Dossier BB18.1968 – 920 – A94, « Répression du brigandage en Kabylie ».

Annexe :

Le second ouvrage Violard (1895/1998), presque entièrement consacré au procès, accorde une place importante à la comparution d’Arezki : « Areski comparaît seul sous un burnous d’éclatante blancheur, sur la tête une chéchia toute neuve. Le bandit a soigné la mise en scène. Il est accusé, pour son compte personnel, de quatre assassinats et de plusieurs vols individuels. Il parle assez correctement le français mais refuse de répondre dans cette langue. Aussi, le président des Assises, Me d’Andrée de Renouard, un magistrat d’une probité et d’une intelligence peu commune dans le monde des magistrats, désigne-t-il Me Kellerman, interprète très érudit, pour assister Areski et, plus tard, ses auxiliaires

Interrogatoire : Areski dit : « J’ai tué, je le reconnais et je revendique hautement la responsabilité des meurtres que la société française me reproche. Mais je repousse avec la dernière énergie l’accusation de vol qui pèse sur moi.

Je suis entre vos mains et entre les mains de Dieu, faites de moi ce qu’il vous plaira : d’avance, je m’incline devant votre verdict. Je dois cependant, à la veille de la mort, proclamer la vérité sans restriction et sans lâcheté. […] Si j’ai pris la forêt, à qui la faute ?… A l’Administration; mon père était propriétaire de cent cinquante hectares de terre; il avait des oliviers, des figuiers; il pouvait faire des céréales. Petit à petit, il a été dépouillé par les Domaines, par les agents forestiers, par les amins alliés aux administrateurs des communes mixtes. A ces gens-là, il faut sans cesse donner de l’argent, des moutons, des chèvres, des volailles. Mon père et mon grand-père ont toujours refusé : j’ai suivi leur exemple. Alors commença contre notre famille une guerre sourde, acharnée de la part de ces prévaricateurs.

Avant de prendre la forêt, j’étais riche; je possédais des terres labourables ; j’avais des troupeaux. Depuis mon incarcération, on a assassiné mon père, on a séquestré ma femme, on a pris mes biens. Mon enfant n’a plus rien, c’est un paria. Voulez-vous en faire un bandit ? […] . Non, je ne suis pas un voleur! J’ai tué ceux qui étaient payés par l’administration pour me livrer; ceux qui ont causé ma ruine. J’ai supprimé mes ennemis » » (Violard, 1998 : 16-18). Au-delà de la défense individuelle de son client, ce sera Me Langlois qui expliquera les raisons profondes de ce banditisme :

« Très sobrement, Me Langlois montre le banditisme enfanté par notre société moderne, par les fautes administratives accumulées depuis soixante ans […]. « Areski, c’est le porte-parole de ce pays que nous n’avons pas su comprendre et que nous avons stupidement opprimé. Areski, c’est la Kabylie tout entière qui vient vous dire : Ce n’est pas en faisant couler des flots de sang sur l’échafaud d’Azazga que vous transformerez nos mœurs et nos coutumes. Vous n’avez pu nous amener progressivement à ce que vous appelez la ‘civilisation’, vous avez désagrégé la société kabyle sans rien mettre à la place de nos Kanouns détruits. » […]

Maître Langlois conclut : « Areski n’est pas le malfaiteur présenté par l’avocat général, c’est le révolté kabyle et ses crimes qu’il revendique courageusement sont des crimes politiques » (Violard, 1998 : 30, 33).

« Hommes et Femmes de Kabylie Dictionnaire Biographique de la Kabylie »

source: http://printemps2001.unblog.fr/2010/02/11/arezki-u-lbachir-un-brigand-chevaleresque/

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